Le crocodile et l'esturgeon
Le crocodile et l'esturgeon
Le poète et fabuliste Jean-Pierre Claris de Florian écrit en 1972 la fable « Le crocodile et l’esturgeon »
Dans cette fable, le crocodile incarne la méchanceté et l’esturgeon la bonté.
Florian constate que le méchant est sans scrupule ni remords et qu’il est idéaliste de croire que les discours moraux peuvent changer les coeurs.
Le crocodile et l'esturgeon
Sur la rive du Nil un jour deux beaux enfants
S’amusaient à faire sur l’onde,
Avec des cailloux plats, ronds, légers et tranchants,
Les plus beaux ricochets du monde.
Un crocodile affreux arrive entre deux eaux,
S’élance tout-à-coup, happe l’un des marmots,
Qui crie et disparaît dans sa gueule profonde,
L’autre fuit, en pleurant son pauvre compagnon.
Un honnête et digne esturgeon,
Témoin de cette tragédie,
S’éloigne avec horreur, se cache au fond des flots ;
Mais bientôt il entend le coupable amphibie
Gémir et pousser des sanglots :
Le monstre a des remords, dit-il : ô providence,
Tu venges souvent l’innocence ;
Pourquoi ne la sauves-tu pas ?
Ce scélérat du moins pleure ses attentats ;
L’instant est propice, je pense,
Pour lui prêcher la pénitence :
Je m’en vais lui parler. Plein de compassion,
Notre saint homme d’esturgeon
Vers le crocodile s’avance :
Pleurez, lui cria-t-il, pleurez votre forfait ;
Livrez votre âme impitoyable
Au remords, qui des dieux est le dernier bienfait,
Le seul médiateur entre eux et le coupable.
Malheureux, manger un enfant !
Mon coeur en a frémi ; j’entends gémir le vôtre…
Oui, répond l’assassin, je pleure en ce moment
De regret d’avoir manqué l’autre.
Tel est le remords du méchant.
